Le mobile money s’est imposé dans les six états d’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad) comme le moyen par excellence pour la population de déplacer des fonds de manière pratique et peu coûteuse. D’après le dernier rapport sur les services financiers numériques en zone CEMAC, publié en 2022 par la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), le marché du mobile money a bientôt atteint sa maturité avec un taux de bancarisation brut (nombre de comptes rapporté à la population totale) s’élevant à 145%.
Contrairement aux titulaires de comptes dans le système bancaire classique, les usagers des services de mobile money n’ont pas accès à des services tels que le crédit et l’assurance (même si l’on observe de timides initiatives des prestataires camerounais dans le domaine du micro-crédit, corsetées par la directive en la matière). Par ailleurs, les sommes détenues dans ces comptes, qui représentent pourtant une réserve de valeur, ne génèrent pas d’intérêts créditeurs et ne peuvent pas être mobilisées directement par les fournisseurs de service de mobile money pour l’investissement dans l’économie.
Force est de constater que le compte de mobile money, qui pourrait constituer un canal d’accès aux services bancaires formels en sus du paiement, reste confiné à un moyen de déplacement des fonds entre émetteur et bénéficiaire.
Les freins à l’accès au crédit en zone CEMAC
La CEMAC est une communauté économique qui souffre d’un accès restreint au crédit. En effet, conformément à la convention de coopération monétaire entre les Etats membres de la BEAC et la République française, en ses articles 10, 11 et 12, la Banque Centrale doit à la fois maintenir la parité fixe entre le franc CFA et l’euro (qui est de 1 euro pour 655,957 francs CFA et auparavant de 1 franc français pour 50 francs CFA) et assurer la libre transférabilité des fonds entre les deux zones monétaires. Ces contraintes l’obligent à mener une politique monétaire restrictive avec un taux d’intérêt directeur élevé (5%) qui se répercute sur les taux d’intérêt pratiqués par les banques et donc le coût du crédit. De plus, la faiblesse des infrastructures spécialisées dans l’évaluation des risques-clients (bureaux de crédit) et la quasi-absence de communication entre celles-ci aggravent l’asymétrie d’information dans l’accès au crédit des titulaires de comptes bancaires, sans parler des détenteurs de compte de mobile money pour lesquels n’existe aucune institution spécialisée dans l’évaluation du risque-client.
Bien que la solution au problème d’inadéquation monétaire relève au bout du compte de la décision politique, celui d’asymétrie d’information laisse le champ libre au régulateur pour adopter des mesures opportunes pour dynamiser l’intermédiation financière. Ainsi, la stratégie adoptée par la CEMAC pour faciliter l’accès des détenteurs de compte de mobile money aux services bancaires classiques fut l’alignement des normes et processus selon le principe d’intégrité financière, qui est au cœur du cadre réglementaire de l’activité de banque commerciale classique. Cette approche se matérialisa par le déploiement d’un système nommé Centrale des Incidents de Paiement, comportant trois modules dont le plus important est le Fichier Régional des Clients et Comptes Bancaires (FRCB). Ce dernier est basé sur le Know Your Customer (KYC) électronique et catalyse l’évaluation des risques-clients. Cette innovation a été introduite par un règlement communautaire (en sa Partie III) adopté en 2016, qui s’applique à tous les établissements assujettis à la BEAC (banques, prestataires de services de mobile money et établissements de microfinance).
L’identification client pour aligner le mobile money aux standards des services bancaires classiques
Un préalable, tant réglementaire que technique, aux interactions entre les systèmes d’information des banques et des fournisseurs de mobile money est l’identification sous un standard unique des titulaires / détenteurs de comptes. Le FRCB, dont les modalités de fonctionnement ont été définies en 2021 par la BEAC, vient répondre à cette problématique. Le FRCB centralise les données d’état civil et biométriques des usagers des services bancaires et de mobile money, importés depuis les plateformes des institutions grâce au protocole de communication Secure File Transfer Protocol (sftp). Tous les établissements assujettis à la BEAC doivent renseigner le fichier centralisé avec les données d’identification de leurs clientèles. Le FRCB permet d’uniformiser les obligations relatives à l’identification client entre les sphères bancaire et celle du mobile money par le biais du KYC électronique. Ainsi, les fournisseurs de services de crédit, d’épargne et d’assurance pourront s’engager sans crainte avec les détenteurs de compte mobile money, car ces derniers sont identifiés selon les standards équivalents à ceux du système bancaire classique.
L’utilisation de la biométrie représente une application proportionnée du principe d’intégrité financière (l’assurance que le système financier ne soit pas utilisé à des fins frauduleuses/criminelles) par l’identification sans équivoque de l’utilisateur des services financiers et l’attribution d’un identifiant bancaire unique lié à ses données biométriques. Un exemple comparable à cette initiative est l’interconnexion de l’UPI (Unified Payments Interface) avec Aadhaar, le système d’identification unique de l’Inde, qui a permis aux personnes qui n’avaient auparavant pas accès aux services bancaires de pouvoir ouvrir un compte bancaire en le liant à leur numéro d’identification généré par Aadhaar.
L’évaluation des risques-clients sur les populations mal desservies stimulée par le KYC électronique
La stratégie de centralisation des données d’identification des usagers des services bancaires et de mobile money a permis de poser un premier jalon pour l’analyse des risques-clients, au profit de l’inclusion financière. En effet, le FRCB permettra aux banques et aux fournisseurs de services de mobile money de rattacher directement à chaque client identifié les incidents de paiement de type chèque sans provision, défaut sur prélèvement, dépassement de découvert et même défaut de remboursement de (micro-)crédit dont il a pu être l’auteur, ceci sur une période de cinq ans maximum.
La centralisation et diffusion à toute la communauté financière de cette information constitue un pilier fondateur pour l’analyse de risques-clients à large échelle. Grâce à cette initiative, combinée à la réforme sur la nomenclature des comptes de mobile money pour l’aligner sur le format IBAN (suivant une instruction règlementaire entrée en vigueur le 12 mai 2021), les banques ont pour la première fois à leur disposition des éléments robustes, consultables à tout moment et en temps réel pour évaluer la solvabilité des détenteurs de compte mobile money désirant accéder à un crédit à la consommation ou un financement à plus long terme. Du côté des fournisseurs de services de mobile money agréés à proposer des financements (six établissements au 11 mai 2023 dans la zone CEMAC), un tel outil leur permettra de se lancer en confiance sur le marché de l’octroi de crédits à la clientèle.
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